Un changement de lieu. C’est à l’Étoile Banque Nationale du Quartier Dix30 que nous avons assisté à la finale de Étoile des aînés, le mercredi 16 octobre. N’ayant pas bien fait nos devoirs, nous nous sommes d’abord présentées au Théâtre Desjardins du Cégep André-Laurendeau, à LaSalle, où s’est tenu l’événement au cours des années précédentes. Constatant notre erreur, nous avons mis le cap sur Brossard, ratant malheureusement l’animation d’avant-spectacle mais arrivant à temps pour la levée de rideau du concours tenu dans une salle dont nous faisions toutes les deux l’expérience pour une première fois – une salle presque toute neuve (elle a été inaugurée il y a cinq ans), remplie presque à capacité (1,000 personnes en formule italienne) pour l’occasion.
Le fait de tenir l’événement dans cette salle de spectacle qui, après avoir fait l’objet de critiques par une certain portion de l’intelligentsia médiatique francophone, a acquis un certain renom – au point d’attirer des spectacles de certains d’artistes influents – contribue-t-il à conférer davantage prestance et de prestige à l’événement ?
Une innovation. Un numéro d’ouverture en deux parties. En première partie, grâce à un gramophone installé au centre de la scène et un micro ‘radio’ vintage qui en assurait une amplification qui imitait les sonorités passées, l’auditoire a écouté un enregistrement de Lucienne Boyer (croyons-nous) interprétant la très populaire « Parlez-moi d’amour « – une chanson popularisée dans les années ’30 que Line connaît fort bien puisque sa mère et sa grand-mère la fredonnaient très souvent…. En seconde partie, l’entrée en scène de Serge Laprade – juge de tournée et ambassadeur de l’édition 2013 (rôle qui avait été joué par Claudette Dion qui faisait tout de même partie des juges de cette finale), qui co-animera le reste de l’événement avec l’humoriste Christopher Hall) – qui interprétera deux chansons dont son célèbre, « Capri, c’est fini » du milieu des années ‘60 – une reprise d’un succès de Hervé Villard. Le public, essentiellement composé de résidents et résidentes de Chartwell, venus de tous les coins du Québec, a bien réagi (« whou….. »). Le public (du moins à l’avant) comprenait les invités d’honneur, dont la gagnante de l’année dernière, les membres de la grande famille Chartwell, de même que ceux des participants.
Ces deux moments mettent chacun à leur manière de l’avant, l’épaisseur des médiations technologiques de l’événement – ce qui, dans un ‘spectacle live’ peut passer plus inaperçu que lorsque l’événement relève de musiques enregistrées sur support disque ou numérique, par exemple. Ils illustrent la coprésence de différents médias mis en œuvre, de même que les différents espaces-temps qu’ils produisent, évoquent et incarnent. Ces moments nous ont aussi semblé empreints d’une nostalgie que nous n’avions pas eu l’occasion d’observer (du moins pas de la même manière) lors des compétitions précédentes, une nostalgie restauratrice, pour reprendre l’expression de Svetlana Boym (Boym, 2001), tournées vers la reproduction plus ou moins fidèle d’un passé révolu.
Une surprise. Au retour de la pause au cours de laquelle les jurys ont délibéré, nous avons visionné un ‘remake’ du vidéo de la chanson « J’aime ta grand-mère », extraite du plus récent album du groupe les Trois Accords. Ce ‘remake’ original, amusant et d’une grande qualité technique mettant en vedette des résidents et membres du personnel du Faubourg Giffard qui en ont aussi assuré la scénarisation et ce, afin de souligner le 5e anniversaire de la résidence. Cette vidéo a été produite en collaboration avec l’équipe marketing de Chartwell, représentée sur scène pour présenter le projet, Kristel Louboutin, coordonnatrice pour le Québec de Étoile des aînés. À travers différentes scènes de la vie quotidienne de la résidence, la vidéo suit une femme âgée fort séduisante qui flirte ouvertement avec des hommes de tous âges, au grand dam d’autres femmes qui semblent en être jalouses. Une appropriation fort intéressante dont l’ironie et l’humour n’ont pas échappé aux membres de l’auditoire qui ont ri et chaudement applaudi la présentation.
En plus d’illustrer le genre d’initiative qu’appuie Chartwell, cette vidéo est intéressante pour la visibilité qu’elle donne à un type de répertoire musical rarement associé aux personnes âgées autant que l’attrait de chansons qui dépeignent autrement que par les images et métaphores de déclin les personnes âgées.
Une finale relevée faites de brillantes ‘performances secondaires’. Dans l’ensemble, les neuf finalistes régionaux ont livré de très bonnes performances. Les deux juges les plus expérimentés, Claudette Dion et Stéphane Laforest (chef de l’Orchestre symphonique de Sherbrooke), ont su encore une fois trouver les mots justes pour vanter les mérites des concurrents et concurrentes au niveau esthétique, affectif et technique et ce, sans jamais se montrer condescendant. La proximité que réussit à établir Claudette Dion avec les concurrents sert de base à des commentaires où priment les émotions. Le caractère pédagogique avec lequel Stéphane Laforest présente ses commentaires parfois très ‘pointus’ en renforce la pertinence et l’intelligibilité pour tous ceux et celles présents. À plusieurs reprises la chanteuse Shirley Théroux, troisième juge, a formulé ses remarques (parfois un peu malhabiles) sous le mode de questions, ce qui a par ailleurs alimenter les interactions entre concurrents et juges qui participent grandement à créer l’ambiance particulière (combinaison de sérieux, de plaisir, de respect et de complicité notamment) de l’événement – plus accentué et plus intense d’ailleurs lors des compétitions régionales.
Pas de surprise quant aux répertoires d’où émanaient les pièces chantées : musiques de crooners, comédie musicale, chant classique, airs populaires de chanson italienne et espagnole, R’n’b, chanson française. Ces pièces chantées sont toutes des chansons d’une autre « époque », aucune ne circule régulièrement à la radio, à moins qu’il ne s’agisse d’une station ‘nostalgie’ ou d’un spécial ‘rétro’.
Deux interprétations nous ont particulièrement émues. Le « Hallelujah » de Leonard Cohen dont Stan Unger a livré une interprétation toute personnelle : « magnifique », « you made it your own » ont commenté les juges. Et « Non, je ne regrette rien » d’Édith Piaf chantée par Madame Diane Charbonneau qui, avaient précisé les animateurs, venait de vivre une année chargée en émotions : encore bouleversée, la juge Dion a souligné l’originalité, la profondeur et l’intensité, « une performance qui touche » confirma le juge Laforest. Ces deux concurrents se sont classés deuxième et troisième, respectivement. Le gagnant, monsieur Elliot Norman, a livré lui aussi une très solide performance en interprétant « The way it used to be » popularisée par Engelbert Humperdink ; servi par des années à chanter dans des bars et clubs de nuit (où, nous a-t-il raconté, il a un jour partagé la scène avec Shirley Théroux), les juges ont apprécié sa maîtrise de la scène, son contrôle vocal et la qualité de son interprétation.
Une élément particulièrement récurrent dans les trois cas a donc été cette insistance des juges à souligner à quel point les concurrents n’avaient pas tenté d’imiter l’artiste très célèbre dans son interprétation de la chanson connue pour laquelle ils avaient opté : dans chaque cas, ils l’ont fait leur. Cette comparaison entre les interprétations par un artiste connu et par le concurrent ou la concurrente, est explicite, surtout lors des finales mais aussi lors des compétitions régionales. Voyez comment elle se trouve au cœur des propos du gagnant recueillis par une journaliste du magazine internet régional, La Frontière, au terme de la compétition.
« ‘On court toujours un risque quand on choisi une chanson d’un grand artiste. On se fait comparer et on n’arrive pas toujours au même niveau’, a-t-il remarqué (…)
‘Quand j’ai gagné à Rouyn-Noranda, Serge Laprade a dit que c’était une des rares fois où il a aimé plus la version du chanteur ordinaire que du grand artiste. J’ai donc gardé la même chanson au niveau provinciale. Jusqu’à date, ça m’a porté le fruit’, a constaté M. Norman. » (Osiecka, 2013)
Cette incontournable présence d’un original dont il est fait rappel et qui sert en quelque sorte de barème maître pour juger la performance des concurrents caractérise l’événement en tant que ‘secondary performance’, c’est-à-dire
« a ‘pretend’ performance that has something to do with a ‘real’ one (though they are in themselves all real performances with real audiences). Their various performances have different kinds of relationship with their originals—appropriation, imitation, approximation—but all might be called secondary performances: a primary performance, the ‘proper’ way of doing, it is always being evoked » (Frith, 2007, p. 11)
Tel est le terme auquel recourt Simon Frith pour analyser les divertissements que sont le karaoke, les groupes hommage et les concours du style Pop Idol en tant qu’elles permettent de réfléchir au rôle social des formes contemporaines du spectacle vivant – une piste que la finale de Étoile des aînés nous invite à creuser davantage.
Line Grenier et Fannie Valois-Nadeau
Références
Boym, S. (2001). The future of nostalgia. New York: Basic Books.
Frith, S. (2007). Live music matters. Scottish Music Review, 1, 1–17.
Osiecka, K. (2013, October 17). Elliott Norman est l’étoile du Québec. La Frontière. Le citoyen Abitibi-Ouest. Le citoyen Rouyen-Norenda. Retrieved from http://www.lafrontiere.ca/2013/10/17/elliott-norman-est-letoile-du-quebec